La loi Quintin, qu’est-ce que c’est?

Désarmer l'extrême droite commence par ne pas voter ses lois

 La loi Quintin, qu’est-ce que c’est? 

Le “projet de loi relatif à l’interdiction administrative des personnes morales, des sociétés sans personnalité juridique, des associations ou groupements de fait constituant une menace grave et actuelle pour l’ordre public, la sécurité nationale ou l’ordre démocratique et constitutionnel” est un projet porté par le ministre (MR) de l’Intérieur Bernard Quintin.

Son objectif affiché est de permettre au gouvernement fédéral d’interdire ou de dissoudre des organisations jugées “extrêmes” ou “radicales” et qui, par leurs activités, constitueraient une menace pour la sécurité nationale ou les fondements de l’État de droit.

Le projet de loi vise de manière très large : personnes morales, sociétés sans personnalité juridique, mais aussi associations de fait et groupements de fait. Certaines organisations sont expressément protégées par cette loi, notamment les partis politiques, les organisations syndicales, les cultes reconnus et les organisations professionnelles. Le Vlaams Belang ne serait donc, par exemple, pas inquiété.
 
 En bref, le gouvernement veut interdire des organisations sur simple ordre d’un·e ministre. Un projet dangereux, arbitraire et inutile. Donner au gouvernement l’immense pouvoir de faire taire une organisation, c’est contraire aux principes démocratiques.

Quelles organisations seraient concrètement visées ?

Le gouvernement a d’abord visé l’organisation pro-palestinienne Samidoun, un réseau international de soutien aux prisonnier.es politiques palestinien.nes, dans ses communications, mais ensuite, dans les échanges parlementaires, ont été cités Code Rouge, un mouvement mettant en place des actions de désobéissance civile de masse à l’égard d’entreprises ultra-polluantes et responsables du dérèglement climatique, ou Stop Arming Israel, collectif de désobéissance civile organisant des actions de blocage sur les sites d’entreprises situées en Belgique et toujours impliquées dans la fourniture de matériel militaire à l’État israélien, alors que celui-ci est en procédure judiciaire à la Cour internationale de Justice pour risque de génocide et que son gouvernement est poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité.

Récemment au Parlement, le MR, à l’origine du projet de loi et qui serait responsable de son activation sous ce gouvernement si elle était votée, a également voulu étendre la portée du texte au mouvement antifasciste.

Le cadre légal est en réalité extrêmement flou, et basé sur des critères qui ne font pas l’objet d’une définition claire en droit international, comme “extrémisme” ou “radicalisme”. Il permet l’interdiction d’organisations défendant ou justifiant des actes jugés radicaux par le gouvernement (sans pour autant les commettre) et vise aussi l’“infiltration” d’organisations par d’autres organisations. Il laisse la liberté au gouvernement de l’interpréter. Les termes utilisés sont tellement vagues que de nombreuses organisations pourraient tomber sous le coup de cette loi.

Est-ce que l’objectif de la loi est justifié ?

La loi se veut lutter contre des associations ou des groupements de fait constituant une menace grave et actuelle pour la sécurité nationale ou la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Bloquer une livraison d’armes vers Israël ? Mener une action contre un géant pétrolier ? Empêcher un événement organisé par l’extrême droite ? Il n’y a aucune raison de dire que les associations citées menacent la démocratie ou sont un danger pour la société.
 
 Ce sont plutôt ces lois et d’autres pratiques de répression utilisées qui menacent notre démocratie, telles que le non respect de l’État de droit par le gouvernement, le refus persistant de respecter le droit des personnes exilés, l’arrestation et l’enfermement des réfugiés palestiniens pour le simple fait de manifester contre le génocide de leur peuple…  Cette loi veut instaurer des mesures non-adéquates pour répondre à des objectifs et besoins non fondés, imaginées pour justifier la répression. 

Le système judiciaire (largement définancé) est déjà équipé pour faire face aux enjeux dans lesquels s’inscrivent la proposition de loi. L’enjeu pour le gouvernement consiste donc à aller au-delà du strict cadre légal, afin de s’arroger le pouvoir de dissoudre des organisations non pas parce qu’elles enfreignent la loi, mais parce que leur fonctionnement ou leur orientation politique lui déplaisent. Une telle loi reviendrait à permettre à l’exécutif d’empiéter sur les prérogatives du judiciaire, fragilisant ainsi la séparation des pouvoirs, pilier fondamental de l’État de droit.    

Qu’est-ce que la “structure Antifa” ?

Le président du MR a appelé publiquement à dissoudre la “structure Antifa”, et le ministre de l’Intérieur a annoncé cette loi pour répondre à cette demande.

“Antifa” n’est pas une structure, mais un mouvement et des réseaux d’opposition au fascisme, à la xénophobie, à l’autoritarisme et à l’extrême droite. S’il n’y a pas d’organisation de fait, la criminalisation des mouvements antifascistes pourrait conduire à des sanctions pénales financières ou à la criminalisation des individus qui y participent.

Le mouvement antifasciste n’est pas non plus réductible à des actions spécifiques ni à de la violence. En dénonçant simplement via les réseaux sociaux l’organisation d’une conférence de membres de l’extrême droite ou en appelant les propriétaires du local à refuser la tenue de l’événement, par exemple, des collectifs s’inscrivent dans le mouvement antifasciste et pourraient donc être menacés par ce projet de loi si le ministre décide de l’interpréter comme le souhaite Georges-Louis Bouchez.

Une criminalisation d’opinions politiques que le gouvernement jugerait non démocratiques ? Un pas vers un État autoritaire ?

En permettant l’interdiction d’une organisation parce que, dans sa communication, elle diffuse de la “justification” d’actes radicaux ou extrêmes, le gouvernement veut museler radicalement la liberté d’expression. En annonçant vouloir museler le mouvement antifasciste, le MR montre qu’il pourrait en réalité museler une opinion ou une idéologie, avec ce projet de loi.

Selon ce texte, c’est le gouvernement qui, sur la base de critères établis dans la loi, pourrait décider qu’une organisation est radicale ou extrémiste et que ses activités menacent la sécurité nationale ou l’État de droit. C’est le gouvernement qui reçoit donc la prérogative de dissoudre ou interdire des organisations dites “radicales”. Pas un juge.
 
 De nombreuses organisations s’opposent à ce projet de loi. Mais aussi des institutions comme l’Institut fédéral pour la protection des droits humains qui dénonce fortement un impact disproportionné sur la liberté d’expression et d’association.

Jeudi 25 septembre, au Parlement, c’est même un libéral flamand – et pas n’importe lequel : Paul Van Tigchelt, l’ancien patron de l’OCAM, l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace – qui s’est publiquement inquiété : “Un tel texte n’a pas sa place dans un État de droit”. Il a estimé que c’est à un juge qu’il revient d’interdire une organisation violant la loi, pas à un gouvernement, que le texte mettait gravement en danger la liberté d’expression, et que les idéologies politiques devaient être combattues par le débat politique, pas par la dissolution des organisations et la criminalisation de leurs activités.

Ce projet de loi est celui d’un État autoritaire, antidémocratique, pas celui d’une démocratie.

Qu’en pensent les Engagés ?

Initialement, les Engagés sont restés silencieux sur ce projet de loi, alors même que leurs collègues de l’open VLD (libéraux flamands) s’y opposaient. Ce jeudi 2 septembre, le député Benoit Lutgen a commencé à émettre quelques doutes. Il estime que cette loi touchant à la liberté d’association, il faut être « prudent ». Il a donc estimé qu’ « il faudrait s’attaquer d’abord aux personnes qui font partie de ces associations ».

Les Engagés commencent donc à douter, vu les avis juridiques et les indignations qui commencent à monter dans la société civile. Mais rien n’est joué ! Ils privilégient en effet de poursuivre des personnes pour leurs opinions jugées « radicales » ou « extrêmes » avant de poursuivre des associations… ce qui ne serait pas moins dangereux ! Et jusqu’à présent, s’ils ont émis des doutes sur la loi Quintin, ils n’ont pas pour autant assuré qu’ils ne la voteraient dans tous les cas pas.

Que ce soient des associations ou des personnes, sauf évidemment violation de nos lois criminalisant la discrimination, le harcèlement ou l’incitation à la haine raciste, xénophobe ou sexiste ainsi que le négationnisme[1], aucune opinion ne devrait pouvoir être interdite. Et encore moins si c’est un Ministre qui assure le rôle du juge chargé de faire le tri entre les opinions acceptables et celles qui ne le seraient pas.

La Belgique prendrait-elle exemple sur d’autres pays ?

En effet, la tendance de nos sociétés à la dérive vers l’autoritarisme et l’extrême droite ne se limite pas à la Belgique. Entre autres, la France et les Pays-Bas ont récemment permis la dissolution d’organisations jugées radicales. Les dérives démocratiques françaises sont nombreuses, la présidence Macron a été de plus en plus critiquée pour son glissement autoritaire et ses très nombreuses lois empruntées à l’extrême droite, et l’extrême droite y est virtuellement le premier parti. Quant aux Pays-Bas, jusqu’à la chute récente du gouvernement, l’extrême droite faisait même partie de la coalition qui y était au pouvoir.

Justifier ce type de procédure en avançant qu’elles ont été mises en place dans d’autres pays n’est donc pas un argument pour dire qu’il n’y a pas de problème avec le projet belge… puisque ces pays sont précisément en proie à des dérives autoritaires ou à la résurgence de l’extrême droite.


[1] Loi dite « Moureaux » de 1981 ; loi négationnisme de 1995 ; lois dites « discrimination » et « sexisme » de 2007